Sortie de la Société Botanique de l'Ardèche, 20 mai 2024


Conduits par Jean Claude Daumas et Chantal Hugouvieux , nous étions une quinzaine ce lundi de pentecote pour parcourir un célèbre vallon dromois réputé parmi les orchidophiles bien au dela du département.
En plus de la liste habituelle d'espèces observées, ce CR est l'occasion d'aborder des sujets sur lesquels ce vallon est emblèmatique: les orchidées, leur classification, les hybrides, les mutants et leur impact en protection.

I- rappels sur les orchidées

1) caractéristiques de la famille; anatomie d'une fleur d'orchidée


Orchis militaris
La famille des orchidacées fait partie des monocotyédones.
On peut citer comme famille proche les liliacées avec une structure florale ancestrale plus simple. Dans cette famile ancètre des orchidées, il y a une fleur régulière constituée de 5 cycles de 3 éléments avec un calice et une corolle de 3 sépales et de 3 pétales similaires appelés donc tépales , 6  étamines et un pistil

Les orchidées ont des pétales et des sépales différenciés et surtout, un pétale transformé qui est bien plus large et souvent plus coloré que les 2 autres. Il est appellé  labelle.  Cela fait perdre aux orchidées la symétrie axiale d'origine pour atteindre une symétrie bilatérale, appelée zygomorphie chez les végétaux . Les pétales et sépales peuvent être rassemblés en un "casque" ou étalés. Le labelle peut porter à la base une structure tubulaire contenant du nectar, l'éperon.
Il y a eu  réduction du nombre d'étamines, il n'en reste qu'une. Le pollen est aggloméré en deux masses collantes appelée pollinies qui correspondent aux 2 anthères de l'étamine habituelle.


Orchis provincialis
L'étamine unique  et le pistil sont réunis en une structure appelée gynostème. L'ovaire subit une torsion au cours du développement des fleurs. Cela amène le labelle en position inférieure .
Les organes souterrains sont en général constitués de deux tubercules contenant des  réserves. Les racines hébergent en symbiose un champignon du genre Rhizoctonia qui favorisent le développement après germination des graines sans réserves,  très légères transportées par le vent...
Il y a une grande variété florale chez les orchidées. Elle est attribuée à leur évolution pour favoriser la pollinisation par des insectes.

 2) la reproduction des ophrys coévolution avec les insectes
Le genre Ophrys est célèbre par son mécanisme de pollinisation. Celle ci est assurée par des insectes dont les males sont leurrés par les fleurs dont la forme et mème l'odeur miment celles des femelles des espèces correspondantes. En croyant se poser sur des femelles, les males touchent la base des pollinies qui se détachent et se collent à l'insecte, puis elles sont transportées jusqu'à un autre fleuron. On parle de  pseudocopulation. Ce mécanisme issu de l'évolution du genre est qualifié de mimétisme pouyannien, du nom de son premier descripteur M.Pouyanne en 1916.

Ophrys insectifera = Ophrys mouche

Ophrys fuciflora = Ophrys bourdon

Ophrys araneola = Ophrys petite araignée

II- Orchidées et taxonomie

1) l'espèce en orchidologie:
On constate que les espèces ne sont pas définies de la mème façon chez les zoologues et chez les botanistes.
Ces derniers sont beaucoup moins respectueux du critère de non interfécondité car l'hybridation est plus répandue chez les végétaux et d'autre part, il y a plus de fertilité chez certains hybrides végétaux.  Cela conduit à des populations hybridogènes.
D'autre part, les espèces peuvent êtres vues de façon plus ou moins englobantes.
On constate l'opposition entre éclateurs =splitters et rassembleurs =lumpers...
Les orchidophiles se placent en général parmi les splitters!!!

Le cas de Ophrys  bertolonii :
Une espèce seulement est retenue dans Fournier en 1950,
Elle a été éclatée en de nouvelles espèces aurelia, drumana... avec Delforge et allii vers 1990,
Flora gallica en 2014 réduit pour notre région à deux espèces qui me semblent valides morphologiquement: bertolonii incluant aurelia à grand labelle et macule simple bleue, et saratoi incluant drumana à petit labelle et macule plus complexe et souvent marginée, plus violacée.
( + catalaunica à répartition sud ouest)

-> dans le vallon, juste Ophrys bertolonii ssp. saratoi appelé O. drumana localement  ...


Le complexe fuciflora /scolopax porte plus à polémiques avec les populations régionales décrites comme espèces par des auteurs puis mises en synonimie...
Par exemple: pseudoscolopax,  ssp. demangei , druentica... décrites par les orchidophiles. La synthèse de flora gallica est réduite à une seule espèce O.fuciflora!
On peut retenir O.fuciflora ssp. Demangei pour la population du vallon, mais beaucoup d'individus s'écartent de ce type.

2) L'hybridation chez les orchidées
a) Le groupe Aceras anthropophorum / Orchis militaris /simia / purpurea
Dès le parking, nous avons vu un hybride entre Orchis purpurea et Orchis militaris =Orchis x spuria .
Ces 4 espèces s'hybrident fréquemment entre elles. Ces hybridations fréquentes associés à des arguments tirés d'études génétiques, justifient le changement de genre d'Aceras mis dans le genre Orchis il y a quelques années
Souvent les individus hybrides sont reconnaissables à leur vigueur et leur forte coloration. Ce phénomène de vigueur hybride est qualifié d'hétérosis.
Les populations du vallon sont un bel exemple d'introgression, à savoir, l'existance d'individus intermédiaires entre 2 espèces par croisements successifs entre  individus déja issus d'hybridation.



Le phénomène d'Hétérosis

Aceras x O.simia = Orchis x bergonii Nanteuil 1887

Orchis simia x militaris =Orchis x beyrichii A.Kern., 1865
b) hybrides entre Ophrys vus.
Les hybrides sont en général plus rares chez les Ophrys. Mais comme ils sont spectaculaires, ils attirent souvent l'attention et sont recherchés particulièrement par les Orchidophiles.
Ils peuvent être baptisés selon les règles de nomenclature avec un X signalant le caractère hybride devant le nom.
Nous en avons vu 4 différents sur notre petit parcours.
insectifera x drumana = Ophrys Xroyannensis M.Gerbaud, O.Gerbaud & Henniker, 1993 (en l'honneur de la région du Royans)
fuciflora x drumana = Ophrys Xchiesesica Kleynen 1989 (hameau des Chièses près de Beaufort sur Gervanne cf "naturalistes belges 2018")
fuciflora x insectifera = Ophrys Xdevenensis Rchb. 1851 (ophrys du Devon)
speculum x fuciflora =Ophrys Xtisserandii G. Lamaurt 2016 (en l'honneur de J.F.Tisserand, grand médiateur/vulgarisateur de ce vallon parmi les orchidophiles)
Le grand nombre de ces hybrides souligne la proximité de ces espèces d'Ophrys.
Mais peut être aussi l'intérèt porté à ce genre par les hybrideurs orchidophiles car les barrières de reproduction spécifiques doivent n'être liées qu'à des pollinisateurs particuliers aux différentes espèces.
voir de nombreux exemples sur ce site de P.Burnel

insectifera x drumana = O. x royannensis M.Gerbaud, O.Gerbaud & Henniker, 1993


fuciflora x insectifera = Ophrys ×devenensis Rchb. 1851


speculum x fuciflora =Ophrys x tisserandii G. Lamaurt 2016





3) des mutants à pétales labellisés
Ce vallon est célèbre aussi pour une population d'une dizaine de pieds d'Ophrys fuciflora mutants qualifiés de forme "Mickeys". Nous en avons vu seulement 3 lors de la sortie 2024.

O.fuciflora à pétales labellisés


Ce phénomène rentre dans le cadre du déterminisme de la fleur d'orchidée par un groupe de gènes homéiotiques (voir Mondragon-Palomino 2010) (5 classes ABCDE et une classe de gènes F pour le labelle)

Certaines plantes à fleur irrégulières peuvent subir des mutations qui les font redevenir régulières. C'est connu en particulier chez les linaires. On parle de pélorisme. C'est l'inverse de la mutation "Mickeys". Parfois certains Ophrys sont dans ce cas avec un labelle transformé en pétale normal.
Les deux transformations affectent l'ensemble des fleurs d'un pied ce qui plaide bien pour le déterminisme génétique.

Orchis simia à pétales labellisés
4) anomalies de forme et couleurs

Ophrys fuciflora = Ophrys bourdon

Les amateurs d'orchidées sont souvent attirés aussi par les formes anormales. On appelle lusus  toutes les anomalies du développement s'écartant de la norme comme par exemple des fleurons soudés, comme des siamois. L'étude des problèmes lors du développement des organes est appellée la tératologie.

Les couleurs des fleurs peuvent varier chez certaines espèces. Les sépales d'Ophrys fuciflora vont par exemple du blanc au violet pourpre en passant mème par des formes à ponctuations. On parle d''hypochromie pour des fleurs à pigmentation réduite.

Orchis simia hypochrome

III- orchidées/orchidophiles et protection de la nature

Ce vallon est riche naturellement en espèces de part la situation, la climatologie et l'agriculture pratiquée. C'est connu depuis assez longtemps par des naturalistes.
On a constaté une évolution ces dernières années avec de plus en plus de parcours d'amateurs d'orchidées
1) expérimentation versus conservation

     photo 9 mai 2024

Ophrys speculum
est une espèce méridionale, en limite de répartition, seulement présente en un  individu à la fois dans ce vallon. On peut penser qu'elle a été introduite et que l'introduction a été répétée après disparition du premier pied..
L'insecte pollinisateur est réputé absent du vallon. La présence d'hybrides avec cette espèce me semble correspondre à des pollinisations artificielles. (Mais il faut noter un phénomène simillaire près d'Aubenas ou un pied d'Ophrys speculum bien développé a été signalé une année. Il a été photographié par Simon Bugnon en ma présence en particulier.  puis ce pied a disparu (gel?) Mais quelques années après, j'ai observé depuis 2022 quelques pieds hybrides venant de cette espèce!)
Je trouve que ces manipulations relèvent d'une curiosité scientifique, certe louable, mais peu utile en l'absence de controles et de publications. 
Je comprend que leurs auteurs restent discrets car ils seraient certainement décriés par les tenants d'une écologie sans intervention humaine, moins tolérants et curieux que je ne suis.

2)  le paradoxe du surintérèt
Le grand nombre de parcours chaque année en mai et la célébrité de ce vallon sont ils avantageux pour la cause de la nature? Les orchidées exercent elles un effet pararapluie qui par leur protection entraine celle des autres espèces?
Peut on considèrer que ce site a un effet d' "abcès de fixation" et permet la survie d'autres sites moins célèbres?
ou au contraire, la célébrité de ce site peut être la cause de sa destruction par surfréquentation?
En tout cas, certains individus attractifs pour la photographie se repèrent aisément aux traces qui y mènent. Mais pour l'instant la célébrité du lieu ne s'accopagne pas de dommages importants. Le propriétaire de la ferme en fond de vallon s'est plaint du passage devant chez lui et a privatisé la piste/chemin de randonnée. Mais il y a un équilibre actuellement. Le site reste riche malgré sa fréquentation.

Les réseaux sociaux et la photographie du vivant ont augmenté ces dernières années la célébrité de ce vallon. Ces moyens comme également le développement de localisations GPS sont intéressants par la circulation d'informations et ils permettent des programmes de sciences participatives. Mais par ailleurs des compètitions nouvelles naissent entre photographes...
Il y a survalorisation des données d'espèces rares cf INPN Rochefort Sanson, pas d'observation d'Urtica dioica et 18 signalements de Ophrys speculum




   
 
image d'un goupe autour d'un pied hybride de O.speculum issu de la première introduction
mème groupe posant




 

Daniel NARDIN