Visite du musée Albert Kahn à Boulogne, décembre 2023, exposition "Rio-Buenos Aires"
Je voulais voir l'exposition "Rio-Buenos-Aires" sous l'angle de la stéréoscopie, et
j'ai découvert simultanément le 6 décembre 2023 ce
musée que je ne connaissais jusqu'alors que de réputation .
C'est le parc de l'habitation du financier philanthrope Albert Kahn à Boulogne, de 1895 à 1940.
Il héberge les quelques 72000 clichés de la fondation des "archives de
la planète" qui nous restent suite au rachat de la propriété et de la
collection d'images par le département de la Seine après la faillite du
banquier en 1929.
Le batiment principal d'exposition est moderne (1990, puis 2015). Il a une architecture demi cylindrique originale qui
ne m'est pas désagréable. Le bois est très utilisé.
J'ai parcouru rapidement le jardin. Il est
impressionnant. Les différents paysages reconstitués sont superbes, du
japonais à la forèt vosgienne, et vaut certainement la visite en
soi,
mais ce sera pour un autre voyage au printemps/été.
Le musée permanent est au rez de chaussée. Dans une ambiance sombre, il y a
surtout 4 grands écrans interactifs et une mosaique de copies d'autochromes
éclairés par transparence. Quelques objets évoquent le mécène.
Pour une découverte structurée de la vie et de l'oeuvre d'Albert Kahn,
il vaut mieux prendre le temps de lire une des biographies que l'on
peut acheter à la librairie du musée en sortant.
Pour une vue plus large des collections, il est possible de visiter les numérisations sur internet dans le portail d'images.
A l'étage, l'exposition "Rio-Buenes Aires" retrace
un voyage en Amérique du sud effectué par Albert Kahn en paquebot d'aout à octobre
1909. L'opérateur engagé par A. Kahn n'est pas identifié.
Cette présentation était alléchante pour un stéréoscopiste car on annonce
que lors de ce voyage, Albert Kahn a fait réaliser 600 plaques stéréoscopiques 45x107mm, à coté de 61
autochromes en plaques 9x12, et d'un film d'une durée de 3mn, "vue de la baie de Rio".
Les autochromes sont plus statiques que les vues stéréoscopiques. Cela
montre l'influence du matériel sur les prises de vue, la plaque
autochrome étant bien moins sensible.
|
|
|
Malheureusement, s'il y a bien quelques plaques représentées entières,
il n'y a qu'un seul stéréogramme qui peut être vu affiché en relief
dans un stéréoscope.
Force est de constater que malgré la disponibilité
des outils numériques 3D depuis 2000-2010, la stéréoscopie souffre encore en 2023 de la
nécessité d'un
outil pour la voir sans gymnastique occulaire. Il y a méconnaissance par les muséographes des possibilités de la 3D avec les fonds anciens.
Bien sur, il est difficile dans un musée d'utiliser les fragiles
stéréoscopes d'antan d'autant que l'on ne peut laisser manipuler par le
public les frèles plaques de verre originales.
Il pourrait y avoir des affichages en anaglyphes avec les lunettes ad
hoc puisque les images de l'exposition en relief sont monochromes et ne
nécessitent pas une restitution fidèle des couleurs.
Pour les reproductions de plaques positives cote à cote, des
dispositifs de lunettes prismatiques mis à disposition pourraient
permettre la découverte
en relief, mais cela nécesste un peu de prise en main par le public.
Des écrans associés à des lunettes polarisantes ou actives
permettraient un accès aux images confortable et de
qualité. Malheureusement, les firmes ne les distribuent plus et la
publicité vers le 4K a fait croire au public que la 3D n'était plus de
rigueur. Les concepteurs de l'exposition semblent ignorer aussi ces possibilités modernes!
Tous ces systèmes imposent aux spectateurs de chausser des lunettes.
Est ce cela qui rebute le public ou les concepteurs d'expositions?
Les écrans autostéréoscopiques sont trop couteux pour un musée, et ils nécessitent
aussi une prise en main pour éviter la pseudoscopie lorsqu'ils n'ont que
deux points de vue.
Les techniciens n'ont pas encore trouvé en 2023 de système faisant accepter la
stéréoscopie au grand public pour un cout acceptable. Il semble que le relief était plus
populaire au début du XXe que maintenant, puisqu' Albert Kahn y
consacrait une majorité de ses commandes de prises de vues.
Mais mème dans les "archives de la planète", il semble que l'apparition
de l'autochrome en 1907 a fait basculer les opérateurs du relief vers la couleur
en mono.
En tout cas les plaques autochromes du voyage à Rio ne sont
pas stéréoscopiques.
Je n'ai pas encore vu quelle pouvait être la
proportion des autochromes stéréoscopiques, mais elle semble assez
faible dans les "archives de la planète".
La seule vue présentée en relief de l'expostion parmi les 600 plaques du fond!
A noter: Albert Kahn a tellement été impressionné par la perspective de cette allée de
palmiers impériaux du jardin botanique de Rio qu'il a demandé à un
opérateur de rephotographier ce point de vue en couleur.
Donc, déja au début du XXe la stéréoscopie pourtant mise en avant par
Kahn comme alors innovante, s'est faite supplanter par un autre progrès
, la couleur!
Au XXIe siècle, les grands écrans haute définition (4K) ont été promus par les firmes à la place de la 3D.
Quand est ce que le relief numérique pourra revenir et que les fabriquants
commercialiseront des grands écrans
4K en stéréoscopie numérique?
|
|
|
Un travail de valorisation numérique est à signaler en marge de cette exposition. Il s'agit d'une carte interactive qui donne accès à la totalité des images de ce voyage à Rio-Buenos Aires.
Cela a été réalisé avec le logiciel ArcGis (de type système
d'information géographique =SIG) par une équipe autour de
Delphine Allannic, responsable du
Centre de Documentation du musée Albert Kahn.
Ce travail a obtenu le deuxième prix au concours 2023 organisé par la firme Arcgis.
Le site est structuré chronologiquement en 9 pages qui donnent accès
via la géolocalisation à toutes les images, légendées et commentées.
Bravo au musée Albert Kahn pour cette mise à disposition originale des
vues de cette exposition.
|
Avec l'appareil Qoocam 3D, on
peut encore en
2023 réaliser ses propres images 3D, voici une sélection de clichés du
jardin, affichables en 3D en cliquant sur les imagettes (appliquette de
Masuji Suto)
Le seul stéréogramme visible en relief: une allée de palmiers
|
La serre
|
un projecteur double d'A.Kahn
|
|
La salle des plaques
|
|
Suite à cette rédaction,
j'ai posé à des amateurs d'histoire de la stéréoscopie et sur le groupe "images stéréo" la
question de la proportion des plaques stéréoscopiques autochromes au
sein des "archives de la planète". Les réponses ont fluctué entre
aucune et presque toutes! La réalité est manifestement entre les
deux...
J'ai donc consulté le portail images du musée
pour y rechercher des autochromes stéréoscopiques. Il en existe peu à
priori , mais il y en a. Par exemple ces deux vues de l'église de
Tlemcen par Frédéric Gadmer en 1929 correspondent manifestement à une
prise de vue en 2 temps sur plaque autochrome. On peut noter la moins
bonne conservation des couleurs sur l'image de droite
plaques
autochrome 9x12cm formant un stéréogramme. collection archives de la
planète Albert Kahn ref A60683 et A60684; opérateur Gadmer
Frédéric ; licence (CC-BY-4.0) La disparité des points à l'infini est faible avec 1/194 mais existe. Cette parallaxe faible correspond peut être seulement à un cas de
prise de vue double du mème sujet.
Le problème du stéréoscope pour ce
format de plaques se pose aussi. Mais il en existe d'après un collectionneur stéréoscopiste. Sur
le portail de la collection Kahn, une recherche simple avec
"autochrome" AND "stéréoscopique" ne donne que 49 images sur les 69 000
du portail. Ce sont des images autochromes au format 45x107 qui sont
signalées (En
particulier de la mission Chine 1912), mais elles ne s'affichent pas
début 2024 (bug du portail ou sont elles en phase de scan?) La
recherche autochrome + stéréo* donne 4 images de plus qui sont des
plaques 9x12 uniques, mais portant une mention dans un champ
"autochrome
stéréo" (exemple C862 de 1926). C'est peut être juste des erreurs
d'indexation. Il me faudra d'autres recherches pour constater dans
quelle mesure la 3D s'est maintenue entre les deux guerres en parallèle
de l'autochrome dans les missions Kahn...
|
Daniel NARDIN
décembre 2023
|